• Le Combat du Siècle : Philippe le Bel vs. Boniface VIII

    Unam Sanctam, c’est-à-dire L’Unique et Sainte, ce par quoi il faut comprendre : « L’Unique et Sainte Église ». Telle est le titre d’une bulle1 fulminée par le Pape Boniface VIII le 18 novembre 1302. Elle proclame que  :« La Sainte Église Catholique est une et apostolique, c’est là un dogme que la foi impose de croire et de garder. […] Hors d’elle, il n’y a point de salut ni de rémission des péchés. »

    Bref, hors de l’Église point de salut. Aussi choquant que cette manifestation d’intolérance religieuse paraisse à des hommes modernes, il n’y a rien d’extraordinaire à dire cela au XIVe siècle. Le plus important dans cette bulle est sa conclusion : « Il est absolument nécessaire à toute créature humaine d’être soumise au pontife romain pour arriver au salut. » La première chose qu’on peut dire, c’est que Boniface VIII devait être sacrément mégalo pour décréter que l’Humanité entière devait lui être soumise… Mais pourquoi a-t-il éprouvé le besoin d’affirmer officiellement cela ? Même s’il n’est pas nommé dans la bulle, c’était Philippe le Bel, alors Roi de France, qui était visé. C’était à son encontre que le Pape déclarait : « Les deux glaives sont donc au pouvoir de l’Eglise, le spirituel et le matériel, mais l’un doit être manié pour l’Eglise, l’autre par l’Eglise ; l’un par la main du prêtre, l’autre par celle des rois et des chevaliers, mais sur l’ordre du prêtre et tant qu’il le permet. Car il faut que le glaive soit sous le glaive et que l’autorité temporelle soit soumise à la spirituelle. » Le Souverain pontife clamait ainsi la supériorité de son pouvoir sur celui du Roi. D’où venait donc ce conflit entre la tiare et la couronne ? Comme souvent dans l’Histoire, il s’agissait au départ d’une question d’argent.

    Au vu des dépenses engendrées par les guerres que menait le Roi – notamment contre l’Angleterre, ainsi qu’en Flandre – et de l’inflation, conséquence de sa politique monétaire, Phillipe le Bel décida de taxer les ecclésiastiques. Cette « décime » (c’était le nom de l’impôt) provoqua l’ire du Pape Boniface VIII qui répliqua, en 1296, par la bulle Clericis laicos (« Les clercs et les laïques ») qui menaçait d’excommunication le Roi en cas de nouvelle levée d’impôts sur le clergé sans autorisation du Pape.

    Le conflit était désormais ouvert entre Philippe et Boniface. D’une histoire d’impôt naquit une querelle idéologique : les clercs sont-ils d’abord les sujets du Roi ou ceux du Pape ? Le Pape est-il le supérieur du Roi ou bien ce dernier, en tant que Souverain de droit divin, n’a-t-il à répondre de ses actes qu’à Dieu lui-même ? Évidemment, chacune des deux parties répondait à ces questions en fonction de ses intérêts politiques. Pendant six ans, avec les bulles Ausculta fili (« Écoute, mon fils », 1301) et Unam Sanctam (« L’Unique et Sainte », 1302), Boniface VIII martela sa position : le spirituel l’emporte sur le temporel. Ulcéré, Philippe le Bel l’accusa d’avoir truqué son élection et d’être donc un usurpateur. Les bulles étant censées être marquées du sceau de l’infaillibilité pontificale, c’était la seule manière qu’il avait d’en contester la validité.

    En septembre 1303, le Roi envoya son chancelier Guillaume de Nogaret arrêter le Pape à Anagni, en Italie, où ce dernier résidait durant l’été. En l’apprenant, Boniface VIII rédigea une nouvelle bulle : Super Patri Solio («Sur le trône de son père»), qui excommuniait Phillipe le Bel. Il n’eut pas le temps de la publier. Dans la nuit du 7 au 8 septembre, Nogaret, accompagné de ses 600 cavaliers et ses 1500 fantassins, s’empara du palais pontifical d’Anagni. Boniface VIII se rendit. « Voici mon cou, voici ma tête » déclara-t-il au chancelier français. Selon la légende, Sciarra Colona – sénateur et chef de guerre romain ennemi du Pape et allié opportunément aux français – aurait giflé le Pape de son gantelet de fer. Cette anecdote est considérée comme non-avérée par les historiens. Quoiqu’il en soit, Boniface réussit finalement à s’enfuir de la ville le lendemain, grâce à l’aide de la population. Mais, humilié et affaibli, il mourut un mois plus tard, le 11 octobre 1303.

    Un nouveau pape fut alors appelé à régner. Araignée ?! Quel drôle de nom pour un pape ! Pourquoi pas libellule ou papillon ?! (Elle est connue, mais ça fait toujours rigoler). Blague à part, le successeur de Boniface VIII fut appelé Benoit XI. Il abrogea la bulle d’excommunication du Roi de France. Son mandat fut très bref (8 mois) puisqu’il mourut à son tour en juillet 1304. Un nouveau pape fut, encore une fois, appelé à régner. Araignée ?! Non, pardon, je l’ai déjà faite celle-là… Ce fut Clément V, un français, qui déclara Phillipe le Bel innocent de toutes les accusations portées naguère contre lui par la papauté et vint s’installer, en signe de respect et d’amitié, en Avignon. La victoire finale revint donc à Phillipe le Bel et plus jamais aucun pape n’osa s’ériger en juge des rois.

    Cet épisode historique – bien moins connu de nos jours que la destruction des Templiers et pourtant tout aussi important, si ce n’est plus – a été vu par les Républicains comme un prémisse aux idées de souveraineté nationale et de laïcité.


     1/ Une bulle est un décret papal.


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  • Commentaires

    1
    Sophie P.
    Samedi 18 Novembre 2023 à 16:29

    Un avant-gardiste en effet ce Philippe le Bel, et courageux d’avoir bravé l’autorité du Pape. Bon article, on aurait peut-être pu se passer de l’épisode de l’araignée, mais en même temps un peu de légèreté dans un récit guerre ne fait pas de mal

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